J’ai rencontré vendredi dernier le maire d’un village de moins de 500 habitants, comme la 4e circonscription de la Côte-d’Or en compte beaucoup. De fait, la circonscription qui a le plus de communes en France est bien la nôtre — avec un total de 343 communes. Sur un territoire rural aussi étendu, les disparités sont légion, et mon interlocuteur me faisait remarquer qu’il est compliqué pour les petites communes d’offrir les mêmes droits à leurs habitants que les villes plus grandes : accès à l’eau, à l’assainissement, à internet… Tout cela est crucial mais a un coût. Or, les petites mairies sont impliquées dans des gestions de problèmes difficiles, de A à Z, tout en voyant leurs dotations baisser. Pour beaucoup de mairies dans la région comme dans le reste de la France, la baisse des crédits de l’Etat au cours de ces dernières années a été un véritable coup dur.
Autre crainte pour les petites communes de la région : le risque de se dissoudre dans des communautés de communes, et de voir la proximité avec les gens, leurs problèmes, disparaître peu à peu dans la foulée. Notre pays a, de longue date, entretenu une forte tradition municipale, qui remonte à avant la Révolution française : qui de mieux pour comprendre et gérer les problèmes d’un petit territoire que ceux qui y vivent au quotidien ? Il est donc capital de préserver cet échelon, de consolider ce socle républicain, de ne pas l’affaiblir, et au contraire, de lui redonner des moyens d’actions. « Qu’est-ce qu’on va devenir ? », se demandait d’ailleurs, inquiet, mon interlocuteur face à ce risque de dissolution.
Ce maire, avec lequel j’ai eu la chance de longuement discuter, est un de ces héros du quotidien, qui bosse dur dans un « vrai boulot » tout en s’occupant en tant qu’élu de murs qui risquent de s’écrouler, de chemins sur lesquels il y a eu un éboulement, de toit de chapelle à refaire et tout en portant une vision pour améliorer le quotidien de ses administrés. Cela veut dire par exemple investir dans l’éolien, ou l’assainissement des eaux, car parmi les habitants, il y a des femmes enceintes qui doivent pouvoir s’assurer que leurs bébés boivent une eau qui soit aux normes sanitaires.
Le maire s’inquiète aussi de voir émerger une France à deux vitesses : celle des « sans-dents »… et celle des autres. A ne plus pouvoir traiter que de l’urgent à cause de budgets municipaux sans cesse revus à la baisse, et malgré la compréhension de ses administrés, un sentiment que les choses sont bloquées est né, et casse le moral. J’ai croisé dans la foulée un cultivateur d’un âge vénérable et qui a toujours voté à gauche mais qui hésite aujourd’hui entre l’extrême gauche et l’extrême droite, ayant été déçu par l’évolution des choses. Face à cette longue stagnation, tous les électeurs ont envie de donner un « coup de pied dans la fourmilière » — une expression qui revient en boucle lors de mes rencontres avec les habitants de la circonscription. Si cette situation se prolonge, la France finira de toute manière par atteindre un point de bascule — d’une manière ou d’une autre. J’espère quoi qu’il en soit que ce ne sera pas au travers de l’émergence du FN, qui n’a, comme ses cousins d’outre-Atlantique ou d’outre-Manche, aucune véritable solution à offrir aux problèmes du 21e siècle mais affecterait pour le pire les couches populaires, comme commencent à le voir par exemple les Anglais. Je reste toutefois très inquiet, et c’est le sens de ma démarche : au moins éveiller les consciences à l’idée que certaines solutions, comme la formation professionnelle et continue, une meilleure redistribution des richesses au travers d’une fiscalité progressive et la lutte contre les paradis fiscaux, l’orientation à l’école, et la lutte contre la pauvreté et l’exclusion, peuvent déboucher sur davantage de mobilité dans une société française figée au-delà de l’insoutenable (sauf si vous êtes à Paris ou dans quelques grandes métropoles chichement dotées en moyens et où le plein emploi est presque la norme).
Dernier point : les élus locaux dans les petites communes font face à des formulaires administratifs toujours plus complexes qu’ils confessent volontiers ne pas toujours comprendre, avec davantage de responsabilités personnelles engagées, et sans que le droit à l’erreur leur soit même reconnu. C’est un problème que j’avais également aperçu dans les mairies de banlieue. Pour y faire face, j’ai mené bénévolement il y a quelques années, avec un maire adjoint dynamique dans une ville du 93, une expérimentation riche : J’ai noué un partenariat pour prendre 5 étudiants en affaires publiques d’une grande école et les ai immergés — à zéro frais, point important pour les mairies qui n’ont pas les moyens de s’offrir des consultants externes coûteux — pendant deux semestres, sur une base quasi hebdomadaire, dans les conseils de quartier, à l’écoute des problèmes des gens, dans le but pour eux de formuler des solutions chiffrées que la mairie pourrait ensuite mettre en oeuvre. L’expérience a été un succès, et les habitants ont également été très heureux de se sentir écoutés. Quant aux étudiants, ils étaient ravis (certains ont poursuivi leur engagement au-delà du project collectif)… et je parie qu’ils ont plus appris sur place que dans nombre de leurs cours !
Combien y a-t-il en France de facultés enseignant les affaires publiques ? Je ne sais pas. Mais si chacune d’entre elles envoyait des étudiants motivés dans nos 36.000 communes, en une époque où leurs finances sont mal en point, pour que ceux-ci apportent une aide ponctuelle, s’occupent de formulaires administratifs cruciaux pour l’avenir de petits villages, on pourrait faire des miracles, tout en développant le potentiel de jeunes qui ne demandent qu’à s’engager et à être utiles. L’innovation sociale, ça marche. C’est une proposition que je souhaite pouvoir porter et développer.
En attendant, mon admiration va vers ces maires des petites communes qui sont, je le répète, de vrais héros du quotidien.